Une entreprise apprenante est bien plus qu’une structure qui favorise l’apprentissage de ses salariés, c’est une organisation qui elle-même apprend et s’adapte.
Hugo vient d’être nommé directeur de l’innovation. Il constitue rapidement une équipe autour de l’ambition suivante : devenir une « entreprise apprenante ». La direction est enthousiaste, les managers sont emballés et les premières réalisations ne tardent pas à se concrétiser. Une plateforme de gestion et de diffusion de contenus de formation, appelée « Learning Management System » (LMS), est installée et un large catalogue de formation est mis à libre disposition de l’ensemble des salariés. La mission semble accomplie pour Hugo et son équipe. Mais, quelques mois plus tard, le succès n’est pas au rendez-vous : les performances stagnent, la concurrence innove toujours plus rapidement, la plateforme de LMS n’est pas utilisée, les formations ne sont même pas initiées, le turnover des salariés continue d’augmenter…
Cette situation, malheureusement trop courante, illustre bien les confusions qui existent autour de la notion d’« entreprise apprenante ». Une entreprise apprenante est bien plus qu’une structure qui favorise l’apprentissage de ses salariés, c’est une organisation qui elle-même apprend et s’adapte de manière organique. Ici, l’organisation n’est pas pensée comme un moyen permettant à chacun d’apprendre, mais comme un tout en mouvement permanent qui évolue pour toujours rester adapté à son environnement. L’organisation n’est plus un moyen, c’est une fin. Elle a une raison d’être à part entière, une mission à accomplir. C’est en cela que réside toute la complexité du sujet. Comprendre cette différence permet d’envisager la diversité des actions à mettre en place pour se rapprocher de cet eldorado convoité par beaucoup d’entreprises.
Vers une culture de l’apprentissage
La raison d’être d’une entreprise apprenante est de rester en harmonie avec son environnement. Concrètement, cela signifie rester performante. Or aujourd’hui, cela ne se résume plus à atteindre ses objectifs. Pour être performante dans la durée, c’est-à-dire rester compétitive, une entreprise doit anticiper, s’adapter aux évolutions du marché et être agile ; stimuler la créativité et l’esprit d’initiative de ses salariés ; attirer et fidéliser les meilleurs talents.
L’entreprise apprenante est l’une des réponses possibles à cette triple exigence. Ce concept, théorisé à partir des années 1990 par Peter Senge, part du principe suivant : pour résoudre un problème, développer un nouveau produit, repenser un process ou encore modifier une organisation, il est nécessaire d’étudier l’environnement, de le comprendre et d’agir en fonction. Or il n’est possible d’agir en fonction de l’environnement qu’avec un apprentissage, non seulement à l’échelle de l’individu mais également à l’échelle de la structure toute entière.
Cela implique de comprendre la complexité qui entoure la notion d’apprentissage. Pourquoi un LMS n’est-il pas suffisant ? Parce que pour apprendre, il ne suffit pas d’avoir accès à du contenu. Développer une culture de l’apprentissage implique de développer une organisation qui promeut la collaboration, le partage, la remise en question, la flexibilité et l’autonomie. C’est donc un processus infiniment plus global, complexe et long.
Une entreprise apprenante est non seulement capable de créer, développer et transférer du savoir, mais aussi et surtout de modifier ses comportements, ses process et son organisation pour s’adapter en conséquence. Quels sont les changements concrets nécessaires ? Quelles sont les objectifs à atteindre et les étapes indispensables pour y arriver ? Voici dix exemples d’actions à mettre en place pour répondre à ces questions.
Priorité à la résolution des problèmes
1. Instaurer un processus d’identification et d’analyse des problèmes. Devenir une entreprise apprenante implique de changer le rapport que nous avons aux « problèmes ». Tout problème est en réalité une opportunité d’apprentissage, c’est pourquoi il doit être identifié et analysé au plus vite. Le lean management et le lean start-up nous donnent de nombreuses idées concrètes, comme les systèmes de bacs rouges pour identifier et analyser les problématiques opérationnelles. Ces méthodes peuvent être adaptées pour l’analyse des besoins clients ou encore les frictions opérationnelles.
2. Se doter d’un système fiable de prise de décision. L’intérêt d’identifier un problème est surtout d’y trouver une solution pertinente. Il est alors indispensable d’appliquer la rigueur suivante : ne pas présupposer la solution et s’attacher à appuyer sa prise de décision sur des faits. La bonne pratique est ici de s’assurer de bien définir les indicateurs de qualité ou de performance, et de disposer de données fiables pour appuyer sa prise de décision. Il est également utile d’être sensibilisé à l’impact des biais cognitifs sur les processus décisionnels.
3. Valoriser l’expérimentation et cadrer la prise de risque. Celui qui expérimente prend un risque. C’est pourquoi encourager l’expérimentation demande d’agir sur quatre piliers principaux :
– Identifier les espaces où il est réaliste de développer le droit à l’erreur : délimiter les projets où les conséquences d’un échec sont économiquement et humainement acceptables.
– Responsabiliser dans les périmètres identifiés en conséquence, notamment en donnant de l’autonomie et en encourageant la sollicitation d’avis.
– Valoriser en reconnaissant les réussites individuelles, en associant aux prises de décision et en déléguant les sujets qui peuvent l’être.
– Rassurer en donnant confiance, en développant une relation privilégiée et en créant un cadre positif qui autorise la prise de risque.
4. Adopter une pensée systémique. C’est l’un des piliers de l’entreprise apprenante telle qu’elle a été théorisée. L’approche systémique consiste à s’abstraire de la pensée linéaire et à prendre en compte le système dans lequel s’inscrit le problème que vous cherchez à résoudre. Dans un monde de plus en plus complexe, cette pensée est aujourd’hui indispensable. De la même manière, devenir une entreprise apprenante implique d’appréhender cette complexité.
Des relations et un environnement de travail reconfigurés
5. Développer des approches réflexives pour apprendre des situations de travail. Chaque situation de travail est une opportunité pour apprendre et progresser. Pour qu’elle soit considérée comme telle, il est nécessaire de créer des opportunités de distanciation du travail. Cela peut passer par un temps de bilan, de retour sur le travail qui a été effectué, de comparaison avec les objectifs et les attentes initiales. De la même manière, cela implique de lier compétences et tâches pour déterminer quelle compétence peut être développée à travers une tâche précise.
6. Apprendre des autres grâce à des relations privilégiées. Le travail en binôme permet de développer cette dimension réflexive. De nombreuses pratiques peuvent être mises en place pour favoriser la réflexion : mentoring, coaching, suivi individualisé par un manager, points de feed-back 360… De la même manière, le « feed-forward » (davantage tourné vers l’avenir que le feed-back) et la posture de manager-coach sont des techniques efficaces.
7. Favoriser l’apprentissage par le collectif. L’apprentissage peut également se faire en intelligence collective, en utilisant par exemple l’outil du codéveloppement. L’idée est ici d’utiliser les retours d’expériences et les bonnes pratiques pour développer les compétences et pour diffuser une culture commune. La mise en place et l’animation collective d’une base de connaissances est également une pratique utilisée pour avoir recours à la force du collectif.
Une politique de gestion du savoir
8. Soigner sa communication pour diffuser une culture globale. Si l’étape de communication est souvent négligée, elle en demeure pourtant une pièce maîtresse qui permet la mise en musique de l’ensemble des points cités précédemment. Chaque partie prenante doit être informée des sujets qui la concerne, par le biais d’une communication adaptée. Si des choix ont été faits après avoir sollicité des avis, les décisions doivent être expliquées. Si un changement est conséquent, les blocages potentiels doivent être identifiés. Ainsi, la communication doit être liée à la culture globale de l’entreprise.
Enfin, comme tout processus de conduite du changement, une attention toute particulière doit également être portée à la vision. Cette dernière permet à tout un chacun de comprendre le « pourquoi » de ces évolutions, c’est-à-dire faire un lien logique entre une nécessité économique, l’existence d’une solution accessible et la conscience de pouvoir agir à son échelle pour produire un changement.
9. Reconnaître et valoriser les compétences. La mise en place d’une politique de gestion du savoir commence par l’identification et la mise en avant des compétences. Les référentiels et les cartographies de compétences, même peu exhaustifs, sont des outils précieux pour identifier les talents clés. L’intérêt de ces outils est double : ils permettent de valoriser les salariés tout en facilitant le partage des bonnes pratiques.
10. Organiser la capitalisation et le partage du savoir. Une fois les compétences identifiées, il est nécessaire de les organiser et de les structurer pour faciliter leur diffusion. Souvenez-vous du LMS : il ne suffit pas de mettre à disposition un catalogue exhaustif. Rien ne fait plus peur que du contenu éparpillé sans cohérence. L’accompagnement des collaborateurs dans leur développement passe par l’identification des besoins de formation (et non des envies), le cadrage avec des roadmaps pédagogiques et l’animation de plans de formation collectifs ou individuels.
Alexandre Malarewicz
Source : https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/12/28596-entreprise-apprenante-10-actions-pour-passer-du-mythe-a-la-realite/