Le prix à payer pour éliminer les facteurs de blocage de cette richesse ? Déconstruire les stéréotypes sociaux.
« Les femmes sont l’actif économique le plus sous-utilisé au sein de l’économie mondiale », déclarait le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, à l’occasion de la Journée des droits des femmes de 2016. Et d’après les calculs de son organisation, si nous mettions en place une égalité des genres dans l’accès aux postes à responsabilité et dans l’entrepreneuriat, la France gagnerait 9,4% de croissance supplémentaire sur 20 ans, soit 0,4% par an. Promouvoir les femmes pour leur permettre d’atteindre leur plein potentiel, c’est augmenter les opportunités de succès et de croissance pour notre économie : c’est notamment créer 1,9 million d’emplois sur 20 ans. La croissance française s’élevait à +1,5% en 2018 ; y ajouter la croissance liée à la promotion et à l’entrepreneuriat des femmes correspondrait à une hausse de la croissance française de plus de 26%.
Trois principales sources de blocage
1- Les femmes n’ont pas accès à une représentation équitable
Les femmes représentent 30% des entrepreneurs français mais ne bénéficient que de 2,6% des fonds investis dans les start-up (les équipes d’investissement sont à 90% masculines). C’est de cette nécessité que naissent des fonds d’investissement créés par des femmes et pour les femmes, tels que Femmes Business Angels. Cette profonde inégalité dans l’accès au capital est dénoncée par WeAreSISTA, le collectif de femmes dirigeantes d’entreprise qui œuvre à la féminisation des entreprises du numérique. Rien d’étonnant au succès de ce collectif : près de la moitié (47%) des femmes entrepreneurs qui réussissent appartiennent à un réseau.
2- Les femmes manquent de modèles dans l’univers professionnel
Dans l’entrepreneuriat par exemple, il y a peu de modèles de femmes et ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent : Céline Lazorthes (Leetchi), Anne-Laure Constanza (Envie de Fraises), Stéphanie Pélaprat (Restopolitan), Pauline Laigneau (Gemmyo), Tatiana Jama et Lara Rouyres (Selectionnist), Meryl Job (Vide Dressing), Arbia Smiti (Carnet de Mode), Marie-Claude Couderc (C2L), Catherine Barba (Cashstore)… Cette faible représentation génère, chez les femmes entrepreneurs, un mythe de l’entrepreneur masculin et un déficit de confiance. Leur rapport au capital s’en trouve affecté : lorsqu’elles parviennent à faire éclore leur entreprise, elles souhaitent plus souvent que les hommes en garder le contrôle, ce qui a un impact direct sur leurs décisions en matière de croissance. Cela n’a rien d’étonnant quand on sait que les femmes entrepreneurs ont deux fois plus de probabilités de perdre le pouvoir de leur entreprise que les hommes. Elles-mêmes s’appliquent des stéréotypes de genre : par exemple, comme elles ont peur de ne pas dégager assez de revenus (c’est le cas de 55% d’entre elles), très souvent, elles se financent avec leurs propres économies (dans 79% des cas). A cela s’ajoute le syndrome de l’imposteur : 3 femmes sur 10 craignent de manquer de connaissance en innovation et en création d’entreprise, alors que chez les hommes, ce ratio est deux fois moins élevé (1,5/10). Parce qu’elles ont deux fois moins de chances d’avoir été dirigeantes auparavant, les femmes entrepreneurs se positionnement moins sur des entreprises innovantes (1/10) ; elles portent des projets plus modestes, et visent davantage le marché national.
Malgré tout, elles restent optimistes : 60% d’entre elles ont pour ambition de doubler leur chiffre d’affaires dans les cinq et 80% ont confiance en l’avenir.
3- Les femmes entrepreneurs qui réussissent ne sont pas assez visibles
Aujourd’hui, 83% des jeunes de moins de 25 ans sont inscrits sur les réseaux sociaux. Or, l’entrepreneuriat des femmes n’y comptabilise que 11% de la prise de parole, principalement sur Twitter et Instagram, en région parisienne, et de la part d’acteurs institutionnels (gouvernement, banques et assurances, etc). L’absence de modèles à qui s’identifier joue un rôle important dans le manque de projection et de personnification pour les jeunes femmes.
Des atouts multiples, y compris économiques
Le monde professionnel n’est que le reflet des construits sociétaux appris, si l’on se réfère à la vision du constructivisme social de Peter L. Berger et Thomas Luckmann. Socialement, les femmes ont donc tendance à se positionner davantage sur les « secteurs féminins » : la santé, les agences de voyage, l’habillement, etc. Pourtant, au-delà des arguments moraux et éthiques en faveur de la promotion des femmes, les arguments économiques ne manquent pas.
1- Multiplier les sources de talents
Les entreprises sont à la recherche des meilleurs talents. Or, sur le marché du travail, les femmes prêtent davantage attention à la diversité de l’équipe exécutive (c’est le cas pour 61% d’entre elles), elles veillent à la présence de modèles féminins positifs qui leur ressemblent (67%), et vérifient si l’organisation partage publiquement son investissement pour le progrès et la diversité (56%). Si la diversité était véritablement respectée dans le monde professionnel, un terme tel que « entrepreneuriat féminin » ne devrait pas exister : il devrait y avoir l’entrepreneuriat, duquel des femmes et des hommes sont acteurs, sans qu’il y ait de différence entre la manière dont un homme ou une femme entreprend.
2- Prôner une ambition moins axée sur l’argent
Les femmes ne représentent que 30% des entrepreneurs et ce n’est pas lié à un manque d’ambition professionnelle : femmes et hommes manifestent les mêmes niveaux d’ambition (88% chez les femmes et 91% chez les hommes), d’après le think tank Women and Ambition. Mais elles n’utilisent pas leur ambition pour les mêmes fins que les hommes : elles veulent avant tout se réaliser (97%), exercer un métier qu’elles aiment (96%) et évoluer dans leur carrière (92%). De leur côté, les hommes se servent de leur ambition davantage pour faire progresser leurs équipes, pour occuper un poste stratégique ou pour gagner beaucoup d’argent. Et ces intentions se retrouvent dans les deux principales raisons pour lesquelles les femmes entreprennent : le gain d’autonomie (pour 46% d’entre elles), loin devant le fait de gagner plus d’argent (11%), et un meilleur équilibre entre la vie personnelle et professionnelle.
Autre constat, les femmes entrepreneurs sont massivement diplômées : 90% ont fait des études supérieures et 57% possèdent un bac+2 (contre 49% des hommes).
3- Construire une entreprise plus respectueuse et donc plus performante
L’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle permet, on le sait, davantage de bien-être au travail et donc des collaborateurs plus performants. Dans ce domaine, les femmes entrepreneurs ont ouvert la voie et montrent l’exemple : elles jugent avoir un meilleur équilibre de vie (à 45%), toutes catégories professionnelles confondues (contre 25% des femmes dirigeantes, 30% des cadres intermédiaires, 33% des employées et 30% des femmes sans emploi). Et cela compte particulièrement lorsque l’on sait que l’une des principales causes de burn-out chez les femmes est liée à la difficulté de trouver un bon équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée (Etude « Quels leaderships féminins à l’ère du numérique ? », Roland Berger avec le soutien de International au Féminin et FlashTweet, février 2019). Promouvoir les femmes à des postes à responsabilité permet une meilleure allocation des équilibres de vie – à la manière des entrepreneuses, qui exercent les plus hautes responsabilités de leur entreprise – et donc une entreprise plus saine.